Cathédrale de Bourges
Les vitraux, témoins des métiers des bâtisseurs,
architecte, maçon, gâcheur, verrier, forgeron, tailleur de pierre
Sur les trois rangées inférieures du vitrail de Lazare et du riche s'offrent à nos yeux de rares médaillons représentant le monde des bâtisseurs. Mais leurs gestes et leurs outils ont-ils vraiment disparu ?
Dans le médaillon central quatre personnes travaillent à l'édification d'un bâtiment.
Cathédrale de Bourges,vitrail des maçons et de l'architecte.
Trois hommes ont la tête découverte. L'homme habillé de rose porte sur ses épaules un auget, ou bac pour porter le mortier, appellé "oiseau". Il le maintient à l'aide des poignets de l'outil qu'il saisit de ses mains. Le mortier doit être compact et gras pour ne pas se répandre à terre lors de la montée dans les étroits escaliers des tours ou des murs. Arrivé en haut du chantier un autre maçon, habillé pareillement, pose le mortier à l'aide de sa truelle sur les hauts de murs pour que le poseur de pierre puisse continuer son ouvrage.
Entre ces deux personnages, un homme, vêtu de vert, porte un chapeau à large bord. Sans doute est-il le chef du chantier, voire l'architecte.
Cathédrale de Bourges, vitrail de l'architecte
A l'aide d'un fil à plomb il vérifie la verticalité des murs. De sa main droite tenue haute il tient une cordelette au bout de laquelle est suspendu un poids métallique, obtenant une parfaite ligne verticale. De sa main gauche il fait coulisser vers le bas un carré métallique, percé en son centre et traversé par cette même cordelette, afin de vérifier l'aplomb du mur.
Accolé à son dos le maçon vêtu de rose pose le mortier monté sur le haut du chantier grâce à l'oiseau. Ils se regardent, lui et son compagnon vêtu de jaune.
Celui-ci tient verticalement de sa main gauche un niveau pour vérifier l'horizontalité du mur. Son compagnon tend sa main droite pour le recevoir et procéder à la mesure. Ce niveau est différend du fil à plomb qui donne une verticale. Celui-ci est un triangle allongé, dont la base rectiligne est posée sur le haut de mur à vérifier. Entre le sommet du triangle et sa base une fenêtre est aménagée. A l'intérieur un fil à plomb est suspendu. Si sa pointe repose au milieu du bas de la petite fenêtre, alors la base de l'outil est bien horizontale.
(montage photo ci-dessous)
Cathédrale de Bourges, vitrail du niveau
Poursuivons l'exploration des métiers de la construction de la verrière.
En bas à droite de celle-ci, deux hommes marchent, le dos courbé sous une charge.
Cathédrale de Bourges, vitrail des maçons, porteurs de mortier
L'homme en vert porte une hotte en osier, remplie d'un matériau non identifiable. Des formes jaunes comme des épis la remplissent. Cette hotte est fixée au dos de l'homme par une corde épaisse qui descend par dessus ses épaules, faisant office de sangle ou de baudrier. Ainsi notre homme a les mains libres. De sa main droite il tient un fin bâton rouge dont l'usage reste incertain.
A sa droite le deuxième homme, habillé d'une tunique rose, tient dans ses mains les longues poignées d'un "oiseau", posé à la base de sa nuque. Cet "oiseau" est une auge en bois permettant de monter du mortier sur les parties hautes du chantier, en empruntant les étroits escaliers en colimaçon. Le sourcil froncé de l'homme indique un effort important.
Dans la partie opposée de la verrière, en bas à gauche, deux compagnons gâcheurs fabriquent du mortier. Le mortier lie les pierres de taille entre elles. Il permet aux voutes et aux colonnes de tenir la charge. En effet, assemblées à sec les pierres s'écraseraient entre elles à cause d'aspérités saillantes sur leurs faces en contact, celle-ci ne pouvant être parfaitement lissées. Ces aspérités provoqueraient localement des différentiels de charge trop importants. Avec du mortier, les pierres sont jointes et fixées entre elles et ne peuvent bouger.
Si le volume de la construction est dû aux pierres, l'utilisation du mortier assure la stabilité et la pérennité de celle-ci. Le mortier, ou ciment, connu depuis les celtes et les romains, tient donc un rôle essentiel.
Nos deux compagnons gâcheurs sont ici à l'oeuvre pour le fabriquer.
Cathédrale de Bourges, vitrail des gâcheurs
Le personnage de droite est torse nu car l'effort physique est très important. Il doit être en sueur. A deux mains il imprime un mouvement de va et vient à la longue perche rouge terminée par une large spatule. En la poussant et la tirant, il mélange l'eau versée par son compagnon sur le mortier sec, le ciment composé de calcaire chauffé, dans le bassin jaune posé au sol.
De ce travail titanesque, épuisant, dépend la qualité du mortier. Il ne suffit pas de le faire, encore doit-il être bien fait, bien dosé en proportion d'eau. Le mortier ne doit être ni trop sec, ni trop mouillé. Il perdrait alors sa qualité de "colle" et mettrait l'édifice en danger face à l'épreuve du temps. A droite de l'homme un grand fût contient le ciment sec, pulvérulent. Il est aussi important de veiller à sa qualité en le conservant à l'abri de l'humidité. Il ne doit pas commencer à "tirer" avec l'humidité de l'air. La qualité du mortier serait compromise ainsi que la longévité de l'édifice.
La tâche menée ici est donc extrêmement importante, nécessitant la maîtrise du gâcheur.
Au bas du vitrail, en son centre, trois hommes s'affairent. Celui de gauche, en vert, travaille seul. Il est penché sur une sorte de table maçonnée, dont les pieds évidés laissent apparaitre une couleur rouge. Est-ce du feu ? L'homme a devant lui un pot rose, décoré d'une frise en son milieu, muni d'une belle anse verte. L'homme, avec ses deux mains, semble façonner un autre pot. Avons-nous ici un potier ?
Cathédrale de Bourges, vitrail des potiers
N'oublions pas qu'à quelques kilomètres au nord de Bourges se développe une activité de poterie renommée. Elle perdurera jusqu'au début du XXème siècle. Sur un autre vitrail se voit la création d'Adam, comme façonné sur un tour de potier par Dieu. Est-ce un clin d'oeil à ces potiers d'Henrichemont et de la Borne, proches de Bourges, et à leur argile réputée ?
A droite de notre potier deux hommes, vêtus de rouge et de rose, portent un brancard. L'un est devant et l'autre derrière. Ils tiennent de leurs mains les montants de bois.
Cependant un détail surprend : une corde ou une lanière en cuir repose sur leurs épaules et descend vers les montants du brancard. On voit précisément, sur la partie droite, la lanière se dédoubler et s'attacher au bout du brancard, doublant ainsi le travail des mains. Les deux hommes peuvent ainsi porter cette charge uniquement grace aux deux lanières passées sur leurs épaules. Les mains ne servent qu'à empêcher un brusque sursaut du brancard qui ferait chuter la très lourde charge.
Cathédrale de Bourges, vitrail des porteurs de pierre taillée
Quel peut être cette très lourde charge ? Son aspect montre une forme cubique, coincée entre deux cales en bois. Il s'agit d'une pierre taillée, prête à être hisser au haut du chantier. A cette époque les bâtiments en construction n'étaient pas échafaudés depuis le sol. Seules les parties en cours d'assemblage étaient échafaudées par des madriers en bois enfoncés dans les trous de boulin ménagés à cet effet, à chaque étage de la construction.
L'instrument est un bard (1), sorte de brouette primitive sans roue, utilisée pour monter les escaliers. Ce plateau à quatre bras nécessite deux hommes.
(1) In "Les pierres sauvages" de l'architecte Fernand Pouillon, p.229, Seuil, 1964
Quittons ce vitrail de Lazare et du riche pour aborder deux petits vitraux, réenchâssés dans les verrières du premier étage du triforium, côté nord de l'abside de la cathédrale. Ils montrent des scènes très rares.
Le premier, ci-dessous, présente un forgeron et son apprenti.
Tout de rouge vêtu, le forgeron lève haut son marteau de sa main droite pour frapper fortement le métal incandescent posé sur l'enclume. Ses coups de marteau alternent avec ceux de l'apprenti qui tient aussi une masse dans ses mains. La main gauche du forgeron tient le métal à l'aide d'une pince au long manche. Les frappes successives donneront au métal la forme voulue, nécessitant de la remettre plusieurs fois au feu pour lui redonner de la malléabilité.
Cathédrale de Bourges, vitrail des forgerons
Le forgeron est muni d'une sorte de béret, protection contre les flammêches et les étincelles sortant du four. Un grand tablier vert, fixé à la ceinture, pend entre ses deux jambes. Un rabas ferme la poche du tablier. Ca tablier assure un rôle protecteur pour la forgeron. L'apprenti est vêtu simplement.
Du haut de la scène pend une sorte de crochet rouge auquel une masse blanche est attachée. Qu'est-ce ? Le sens est perdu. Si un lecteur peut proposer une identification, merci de me contacter.
Juste à sa droite, le deuxième vitrail réenchâssé montre deux hommes portant sur leur épaule une tige horizontale munie d'une poulie métallique bleue où une corde verte joue librement.
Cathedrale de Bourges, Maître et disciple comme poulie fixe et poulie folle
Nous aurions là la représentation de la "poulie fixe et de la poulie folle", expression tirée des métiers désignant par analogie l'attachement de l'apprenti, la poulie folle, à son maître de métier, la poulie fixe. Les deux hommes font "la paire". Grasset d'Orcet (Aurillac 1828- Cusset 1900) mentionne cette appellation issue de l'argot des métiers dans un de ses articles publiés dans la "Revue Britannique" de 1880.
Ci-dessous aperçu des verrières en grisaille des parties hautes du choeur, côté nord, d'où proviennent ces deux représentations de métier. Ces vitraux, très sombres, sont difficilement discernables du sol de la nef.
Au pied du deuxième vitrail de l'abside, venant du sud, un tailleur de pierre est à l'ouvrage. Au sol un demi fût de colonne est posé en biais sur une cale en bois. Vu de dessus, il laisse voir les deux colonnes attachés à son fût central.
Notre tailleurs tient à deux mains le manche court d'un marteau gradine. Ce marteau particulier, de deux ou trois kilos, se termine d'un côté en section plate, crénelée de six ou septs dents carrés. L'autre côté se termine en pointe, comme un pic. Cet outil à double fonction permet de dégager les formes de manière précise.
Cathédrale de Bourges, vitrail du tailleur de pierre
Photo provenant du site web de restauration "Clostridium"
Le tailleur de pierre est penché en avant, prenant appui sur sa jambe gauche. Il porte des petits coups pour effectuer un travail de précision. Son visage est proche de la pierre, afin de mieux observer l'avancement du travail. Seuls ses cheveux sont protégés par une sorte de bandeau. Malheureusement pour lui ses yeux restent sans protection, ce qui est inconcevable aujourd'hui, tant le risque de projection d'éclats de pierre dans l'oeil est élevé. Les lunettes de protection n'existaient pas.
Devant et derrière l'artisan tailleur de pierre figurent deux outils. A gauche une grande équerre est figurée dans une position irréaliste, comme en lévitation, afin que nous puissions la voir. A droite une règle est représentée dans une position semblable. Ces deux instruments sont indispensables pour vérifier le bon équerrage d'un bloc cubique et la planéité des surfaces des pierres taillées. Par ailleurs, ils sont l'apanage des maîtres, des oeuvriers accomplis. Ils figurent présentés à l'identique sur le socle de certains chef-d'oeuvres de compagnons charpentiers aujourd'hui.
Infographie reconstituant le fût central et ses quatre colonnettes latérales.
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