Cathédrale de Bourges

Vitrail de l'Apocalypse, une femme allaite deux hommes

 

Etrange vitrail que ce vitrail de l'Apocalypse, à découvrir dans sa totalité au bas de cette page. Il ne reprend qu'une petite partie de la vision de Saint Jean. Le Christ est présenté sous trois aspects différents, en bas, au milieu et en haut du vitrail. A chaque fois quatre lobes de verre entourent le Christ, complètant la description centrale.

En haut du vitrail le Christ sort d'une mandorle au liseré doré, entourée de nuées. Il descend du ciel vers nous. Sa main gauche tient le bâton de berger, sa main droite nous bénit.

Il revient, glorieux. Ses pieds et ses mains ne portent plus la marque de la crucifixion. C'est la Parousie, le retour glorieux du Christ à la fin des temps, accompagné de deux hommes, les prophètes Moïse et Elie.

 

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Les prophètes Moïse et Elie.

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Moïse et Elie sont des "envoyés" de Dieu. Moïse a le privilège de lui parler directement lors de sa vision du "Buisson ardent" dans le Sinaï. Elie ne connaît pas la mort physique. Il est emmené au ciel dans un char de feu. Ces deux hommes n'ont pas la tête auréolée, n'étant pas des saints.

Cependant ils sont couronnés par une femme auréolée, assise sur un trône. Qui est-elle ? Est-ce Marie, la mère de Jésus ? Est-ce la Femme de l'Apocalpyse, qui soustrait son enfant au dragon ? Mystère. La couronne est traditionnellement l'attribut du martyr. Le prophète Elie n'est pas un martyr. La scène se passe dans le ciel, entourée de nuées, comme la scène à sa gauche où trône l'Agneau de Dieu victorieux.

Fait encore plus étrange, les deux hommes têtent la femme. Elle leur présente ses seins, les tétons vus de profil, comme pour nourrir des nouveaux-nés. Les deux hommes en prière s'abreuvent à ce lait virginal qui n'est pas de nature terrestre. Ils sont comme nouvellement nés au ciel. Est-ce pour nous une promesse de rédemption au temps de la Parousie ?

 

Plus tard, ce thème de la femme allaitant deux hommes âgés est repris. Un manuscrit (Bibliothèque Nationale de France) du "Consolation de la Philosophie" de Boèce (470- Pavie 525), appartenant à Louis de Gruuthuse (1422- Bruges 1492), prince flamand et chevalier de la Toison d'Or, montre à son folio 12v sur sa partie droite Dame Philosophie. Couronnée, elle apparait à Boèce en prison, étendu sur son lit. A sa gauche, au centre de la composition, Dame Philosophie, assise, présente ses seins à deux personnes âgés. Le message est le même. Ici, la Philosophie, composée du Trivium et du Quadrivium, est l'escalier à sept marches qui permet de passer du monde matériel, quotidien, au monde de l'abstraction, de l'intelligence, de la compréhension auxquels doivent s'abreuver les assoiffés de connaissance, les chercheurs de sagesse.

 

Exemplaire manuscrit du "Consolatio" de Boèce de Louis de Gruuthuse

Manuscrit de la "Consolatio" de Boèce, appartenant à Louis de Gruugthuse. Folio 12 verso.

 

Détail du manuscrit du "Consolatio" de Boèce de Louis de Gruuthuse

Détail du manuscrit de la "Consolatio" de Boèce, appartenant à Louis de Gruugthuse.

Cette représentation de la Philosophie où s'abreuvent à la source de la connaissance et de la sagesse deux chercheurs âgés prête à sourire. Cette image doit-elle se lire avec une pointe d'humour, voire d'ironie, quant aux recherches possibles de ces savants personnages dont les bonnets permettraient l'identification ? Un lecteur aurait-il une réponse ?

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Dans la cathédrale de Reims le vitrail nord, miraculeusement intact, développe le thème de la Création sur une rose de verre. Au dessus se trouve un autre vitrail. Muni de jumelles vous pouvez distinguer une scène similaire à celle de Bourges : une femme allaite un homme allongé sur ses genoux, comme s'il s'agissait d'un nourisson. Toute la Création est donc bien un enfantement cosmique, un enfantement du divin. L'homme allongé est le symbole de celle-ci. A la différence de Bourges, ce ne sont pas deux hommes prédestinés qui bénéficient de cette grâce divine, mais, sous les traits de cet homme simple et sans couronne, c'est l'humanité toute entière qui participe au mystère divin.

 

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Rosace de la Création dans la cathédrale de Reims, au transept nord.

 

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Cathédrale de Reims, "L'humanité allaitée" coiffant le vitrail de la Création. La Création est bien un enfantement du Divin.

 

 

 

Retournons à la cathédrale de Bourges.

A gauche des deux hommes allaités le vitrail montre l'agneau de l'Apocalypse. Il porte l'oriflamme signé de l'alpha et l'oméga, première et dernière lettre de l'alphabet grec. Ces lettres symbolisent l'écoulement du temps, du début à la fin de la Création. Cet Agneau, maître du temps, du début à sa fin, nous indique qu'ainsi toute la création n'est qu'un acte sacrificiel, au service d'une entité plus élevée, située hors du temps et au delà de l'incarnation.

 

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Notre Agneau de l'Apocalypse porte avec sa patte avant droite l'oriflamme frappée aux couleurs du Roi du Ciel. Une grande croix délimite quatre espaces : en haut les deux lettres grecques Alpha et Omega, en bas le chrisme, formé des deux premières lettres grecques du mot "Christ", le X et le R, complétées d'un S latin et d'une sorte de tilde. La patte a le privilège de porter cette insigne car, selon l'alchimiste parisien Fulcanelli, "... s'il la soutient avec le pied, c'est parce qu'il en a le signe incrusté dans le pied même : image au-dehors, réalité au-dedans..." ("Les demeures philosophales", Jean Schemit éditeur, Paris, 1930). Fulcanelli précise qu'un os du pied du mouton est strié, sur une de ses faces, par une gorge en forme de croix de Malte. Le maître verrier nous rappelle-t-il cette réalité en plombant en étoile les morceaux de verre constituant les cuisses du mouton ?

 

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Détail en gros plan de l'oriflamme de la Parousie. Regardons, au passage, les bulles d'air incrustées dans le verre bleu. Ces faiblesses techniques dans la constitution du verre en font sa richesse. Le verre d'aujourd'hui, techniquement parfait, n'a plus ces diffractions de lumière, dûes aux boursoufflures engendrées par ces inclusions dans le verre.

 

 

Sur cette photo de détail le verre bleu montre des incrustations de bulles d'air. Les verriers du moyen-âge n'arrivent pas, heureusement, à fabriquer des plaques de verre homogène, sans bulles ni avec une densité de couleur régulière. Grâce à ces imperfections leurs vitraux nous paraissent vivants, à la différence des verres modernes. Le grillage, qui apparaît derrière en filigrane bleu sombre, est récent. Il protège le côté extérieur des vitraux des oiseaux

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Tiers supérieur du vitrail de l'Apocalypse : le Christ au temps de la Parousie, Moïse et Elie allaités, victoire de l'Agneau, triomphe des prophètes.

 

La restauration désastreuse des années 1980 est responsable de la noirceur de ce vitrail. Le vernis protecteur appliqué sur le verre a noirci avec les années, occultant plusieurs couleurs.

 

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Vitrail de l'apocalypse, complet.

 

Les diapositives d'avant cette "protection" montrent un vitrail avec des bleus clairs, des verts et des ocres pâles. Ils sont, hélas, actuellement perdus, nuisant fortement à la lisibilité du vitrail.

 

 

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