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Vendôme, abbaye de la Trinité

Le message de ses clefs de voute, XIVe siècle

 

 

Abbaye_de_le_Trinite_Clefs_de_voute.jpg (379719 octets)

 

Les transepts nord et sud, en gothique flamboyant, abritent des clefs de voutes ouvragées au motif et à la polychromie remarquables. Malheureusement leur élévation et la pénombre rendent incertaine leur lecture.

Il en va de même pour les culs de lampe des retombées d'arêtes de voute.

Abbaye de la Trinité à Vendôme. Cul-de-lampe à l'architecte

Le maître du trait et son outil à tracer, le compas.

 

Arrêtons-nous sur le maître du trait, bâtisseur des parties en gothique flamboyant, rajoutées au XIVe siècle. Une église ou abbaye est un monument vivant qui reflète dans sa chair les évolutions dûes aux besoins d'époques différentes, comme les autres productions humaines.

 

Le maître du trait et son compas dans la chambre du trait.

Abbaye de la Trinité à Vendôme. Le maître du trait en train de tracer au sol les coupes et élévations.

Abbaye de la Trinité à Vendôme. Le maître du trait en train de tracer au sol les coupes et élévations.

 

Cette abbaye est dédiée à la Sainte Trinité. La Trinité est un terme chrétien majeur signifiant Dieu sous la forme triple du Père, le Créateur invisible de tout, du Fils, Dieu incarné sous la forme d'un enfant comme nous tous, et de l'Esprit, son souffle et son intelligence mis en oeuvre dans la nature et l'humanité.

Cette dédicace à la Sainte Trinité est le fil rouge pour comprendre la décoration du transept nord. Ses clefs de voûte racontent l'histoire d'Abraham et de son fils Isaac, préfiguration de la venue du Christ.

 

La première clef de voûte montre un homme agenouillé devant trois anges. Qui sont-ils, quelle est la signification ?

 

Abbaye de la Trinité de Vendôme, Abraham s'agenouille devant trois jeunes hommes célestes.

Abbaye de la Trinité de Vendôme, Abraham s'agenouille devant trois jeunes hommes célestes.

 

L'épisode est relaté au chapitre 18 de la Genèse, dans l'Ancien testament. "L'Eternel lui apparut parmi les chênes de Mambré" : de sa tente Abraham voit trois hommes debout près de lui. Il court vers eux, se prosterne, les prie de rester et leur propose une collation. Il demande alors à Sara, sa femme, de prendre trois mesures de farine, de les pétrir et d'en faire des galettes. Il prend ensuite dans son troupeau un veau tendre. Les trois hommes mangent ces présents, Abraham reste debout à leur côté. L'un d'eux annonce son retour dans un an : "et, voici, ta femme aura un fils". Abraham a cent ans et Sara quatre vingt dix ans. Sara ne peut plus espérer avoir d'enfant. Devant leur étonnement, il reprend : "rien n'est étonnant de la part de l'Eternel".

Ces trois hommes, jeunes et ailés, sont assimilés à la Trinité, Dieu, Fils et Esprit. Pour eux, tout est possible, ils sont la Vie, sous toutes ses formes, visibles et invisibles. Alors les trois hommes, la Vie, rendent fertiles son travail et ses offrandes. Malgré son âge Sara devient mère. La Vie, "force forte de toute force" (1), triomphe. L'Esprit est descendu en terre. La terre prend Vie.

(1) in "La table d'émeraude", du mythique Hermès trismégiste, IVe siècle apJC, selon la tradition.

 

Abraham, très avancé en âge, eut donc un fils de manière miraculeuse de sa vieille épouse Sara, fils nommé Isaac. Ce thème majeur se rencontre également dans les livres d'heures (livres de prière), qui sont des manuscrits enluminés. Ci-dessous un manuscrit florentin de 1395 met en scène les trois anges et la Trinité. Sur la scène du bas Abraham est à genoux devant les trois anges qui lui annoncent la naissance miraculeuse de son fils Isaac. Au dessus trois jeunes hommes identiques sont assis derrière un autel, Saint Esprit, Fils et Père, identifiables par les symboles au dessus de leur tête.

 

Trinité, manuscrit de la Morgan Library

Manscrit florentin de 1395 de l'abbaye St Michel de Murano, conservé à la Pierpont Morgan Library, New York (USA). Ms 653.2, 40*59cm, enluminure d'une lettre B.

 

 

La clef de voute suivante se passe plusieurs années après. Nous retrouvons Abraham debout, le bras droit levé tenant un long couteau. Sa main droite saisit les cheveux d'un jeune homme offert en sacrifice, à genoux sur l'autel. Il va sacrifier son fils Isaac pour obéir à l'injonction de Dieu de lui offrir son fils en holocauste. Dieu le lui avait donné de manière miraculeuse. Maintenant il le lui reprend. Abraham obéit contre toute logique humaine à cette injonction de Yavhé, injonction horrible, inimaginable. Il va égorger son propre fils. Le chapitre 22 de la Genèse relate : Dieu mit Abraham à l'épreuve et lui dit : "Abraham, prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac... Va, offre le en holocauste sur l'une des montagnes que je te dirai".

 

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute du sacrifice d'Isaac par Abraham.

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute du sacrifice d'Isaac par Abraham.

 

 

Mais soudain, selon le texte biblique, sort d'un buisson un bélier alors que tonne la voix d'un ange, l'ange de l'Eternel. Celui-ci ordonne à Abraham d'arrêter son geste. Le bélier sera sacrifié à la place de l'enfant. Abraham a réussi la mise à l'épreuve imposée par Dieu. Il est resté confiant et a obéi au-delà des limites humaines acceptables.

Ce thème de la confiance entre Dieu et l'homme est omniprésent dans la statuaire, fresques ou vitraux des cathédrales ou églises. Il est la base de l'Alliance entre Dieu et les hommes, le ciel et la terre. Cette alliance est mise en image dès le VIe siècle sur les mosaiques de Ravenne où ces deux scènes d'Abraham se juxtaposent (voir la page "L'incroyable message de la façade ouest de Notre-Dame de Paris" ailleurs sur ce site). Cette alliance transforme les descendants d'Isaac en fils du ciel, tandis que les descendants du premier fils d'Abraham, Ismaël, né charnellement de la servante de Sara, alors stérile, sont qualifiés dans la Bible de fils de la chair, de fils de la terre. Rappelons que les musulmans se rattachent à Abraham par la filiation d'Ismaël.

 

 

La troisième clef de voute montre le Christ entouré de deux personnes. Aisément reconnaissable à son auréole signée d'une croix, le Christ Jésus lève la main droite en un geste de bénédiction.

Les deux personnages qui l'entourent peuvent être Moïse et Elie. Malheureusement aucun détail particulier confirme ou infirme cette lecture. La scène serait la transfiguration du Christ sur la montagne.

 

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute de la transfiguration

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute de la transfiguration.

 

Selon l'évangile de Saint Mathieu (chapitre 17, v.1 à 13) les trois disciples qui accompagnent le Christ sur la montagne, Pierre Jacques et Jean, voient son visage devenir resplendissant comme le Soleil, ses vêtements devenir lumière. Elie et Moïse apparaissent alors, s'entretenant avec Jésus-Christ. L'ancienne alliance entre Dieu et les hommes et ainsi confirmée par cette nouvelle alliance.

 

 

Passons aux deux clefs de voute du transept sud.

Près de la verrière une Vierge à l'Enfant à la polychromie intacte délivre son message. La Vierge, en buste, a un visage jeune. Ses traits sont doux, la joue tintée de rose et les lèvres soulignées d'un fine coloration rouge, comme son Enfant. Elle est la reine du ciel. Elle porte en conséquence une couronne d'or ourlée d'orange à son sommet. Les volutes de la couronne représentent traditionnellement des fleurs de lys. Son voile blanc, couvrant ses cheveux, descend sur ses épaules de manière réaliste et douce. Son manteau est de couleur rouge. Les figurations conventionnelles utilisent le bleu pour la Vierge Marie, comme chez les peintres italiens. Le rouge est la couleur des peintres flamands, engagés à montrer l'action des hommes de leur siècle. Il n'est pas sans intention que notre Vierge ait son manteau de cette couleur. L'enfant Jésus, au corps d'adolescent, est posé sur les genoux de sa mère. Son visage est presque celui d'un adulte.

 

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute de la Vierge à l'Enfant.

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute de la Vierge à l'Enfant.

 

De sa main gauche Jésus joue avec le voile de sa mère. En retour Marie tend une boule orange à son Fils, habillé d'une tunique d'or, symbole de souveraineté. Ses yeux grands ouverts, comme figés, Marie regarde cette boule, globe du monde mais aussi pomme du mal (malum-i en latin, signifiant également "pomme" et "mal"). Elle lui offre ainsi la souveraineté sur le monde comme l'emblème de la passion et du sacrifice qu'il va devoir consentir dans sa chair, avant de pourvoir être auréolé du chrisme, symbole de sa résurrection, après sa passion et sa mort. Traditionnellement l'Enfant Jésus porte lui-même dans sa main un symbole de sa future passion, une grenade, un corail rouge, une rose. Ici, étonnamment, c'est la mère qui donne à son fils l'objet préfigurant sa destinée. La couleur rouge du manteau se comprend mieux. Marie est active dans ce qui va arriver de tragique à son fils, elle l'accepte par avance.

Il y a un parallèle évident entre cette mère qui sait que son fils sera sacrifié et Abraham qui doit lui-même être l'auteur du sacrifice de son fils.

Regardez le jeu des deux mains qui se croisent. Tout l'enseignement est dans le croisement de ces mains. Quel génie de la part de l'imagier médiéval. De la beauté à l'état pur ! Le fond étoilé de la clef de voute, à la manière des hypogées pharaoniques, place cette action au niveau eschatologique, ultime combat de la lumière contre les ténèbres.

 

 

Enfin, la dernière clef de voute porte le Christ figuré en buste. Il est celui de la fin des temps et porte le livre de la Vie de la main gauche. Sur ses pages le début et la fin des temps sont inscrits sous la forme de deux lettres grecques, l'Alpha et l'Oméga. L'alphabet commence par l'alpha et finit par l'omega. Comme précédemment le fond de la clef de voute est étoilé, pour la même raison.

 

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute du Christ à la fin des temps.

Abbaye de la Trinité de Vendôme, clef de voute du Christ à la fin des temps.

 

Une fureur iconoclaste, par la suite, amena au "buchage" de la sculpture. A quelle époque cette mutilation eut-elle lieu ? Comme tant d'autres monuments, sans doute durant les guerres de religion. Cette méthode fut aussi largement utilisée par les révolutionnaires qui buchèrent les fleurs de lys des stalles ou portes d'églises, en les taillants à coups de marteau ou de ciseaux, selon le matériau.

Dans le cas présent, il faut rendre hommage à l'homme qui tailla le Christ à coups de ciseaux. En effet, quelle ténacité dût-il avoir pour élever un échafaudage à cette seule fin ? Projetait-t-il de l'élever également pour les autres clefs de voute ? Sans doute n'en a-t-il pas eu l'occasion.

Aurait-il chuté de son échaffaudage en buchant l'Alpha du livre de la fin des temps ? Celà lui aura permis d'arriver sans retard à l'oméga de sa vie. Le diable doit en rire encore...

 

 

 

 

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