Cathédrale d'Amiens

Plans de la flêche par M. Maurice Duvanel

 

 

 

Poursuivons la visite de la flêche par l'étude de son plan, effectué par un spécialiste en charpente et couverture, M. Maurice Duvanel. Les photos des pages précédentes montrent un labyrinthe de poutres en chêne émergeant de l'obscurité. Avez-vous compris ces enchevêtrements de poutres ? Le plan rend plus intelligible l'assemblage au profane.

 

 

 Cathédrale d'Amiens, plans de la flèche

A gauche, l'ossature en chêne constituant la flèche, en 1529. A droite, la flèche habillée de plomb, vue de l'extérieur, en 1533.

 

Pour l'architecte, l'enjeu est de taille : comment édifier une flêche de plusieurs centaines de tonnes sur du vide, sur une clef de voûte fragile posée à la croisée des transepts de la cathédrale d'Amiens ?

Grace aux poutres posées en oblique, les arbalétriers, le poids descend en se répartissant sur les quatre piliers de pierre qui montent du sol à la croisée des transepts, évitant ainsi complètement les voûtes.

 

 

Plans de M. Maurice Duvanel de la charpente de la flèche de la cathédrale d'Amiens

Flèche de la cathédrale d'Amiens, osssature des poutres en chêne, formant la structure.

 

L'escalier qui monte aux étages de la flêche de la cathédrale d'Amiens n'est pas représenté sur ce plan. Le poteau central, qui ne pèse pas sur la voute de pierre au dessous, permet la fixation de différents éléments de charpente obliques ou horizontaux entre eux. Ce poteau est le poinçon central. Il fait toute la hauteur de la flèche et a donc une longueur considérable. En fait, ce poinçon est formé de l'assemblage de plusieurs morceaux  de chêne emboités verticalement les uns sur les autres. Il s'agit ici d'un véritable tour de force des compagnons charpentiers. L'assemblage doit rigidifier les poinçons successifs entre eux.

Sur le relevé des assemblages de poinçons effectué par M. Maurice Duvanel, la diversité de ceux-ci apparaissent clairement. Ils forment comme des mains dont les doigts se serrent. Les poinçons de 1529 sont d'une incroyable complexité. Rendons hommage aux charpentiers qui surent tailler dans un bois très dur, le chêne, ces assemblages hors du commun.

 

 

Cathédrale d'Amiens, les différents assemblages du poinçon de la flèche.

Cathédrale d'Amiens, M. Maurice Duvanel, expert en couverture et charpente, fait le relevé des types d'emboitement des poutres de chêne formant le poinçon central.

 

Ne sourions pas de l'apparente simplicité de l'assemblage de 1974. Comme expliqué par M. Duvanel, c'est un assemblage de restauration qui permet le remplacement d'une partie de poinçon abimée, sans avoir a démonter entièrement la flèche par le haut. Imaginez qu'il faille enlever un élément du poinçon central, en faisant coulisser vers le haut l'élément suivant du poinçon. Il faudrait le soulever, ainsi que tous les éléments suivants, pour le déboiter. Ceci reviendrait à démonter la flèche, et, au préalable, effectuer la dépose de tous les éléments de plomb la recouvrant, ce qui est impensable.

 

Le plan suivant montre les arêtes des voûtes de pierre. Elles tissent comme une toile d'araignée à la croisée des transepts. L'impression de fragilité domine. On comprend mieux pourquoi le poids énorme de la flêche ne peut être porté que par les quatre piliers d'angles, massifs et robustes.

 

Cathédrale d'Amiens, les nervures de pierre des voûtes.

Cathédrale d'Amiens, les nervures de pierre des voûtes à la croisée du transept. Relevé de M. Maurice Duvanel.

 

 

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Cathédrale d'Amiens, deux insuffisances de conception.

 

Néanmoins, bâtir une cathédrale n'est pas une science exacte. La construction se fait aussi de manière empirique, au fur et à mesure, amenant parfois les architectes successifs à revoir les aménagements prévus ou déja réalisés. Ainsi, sur le plan suivant, la coupe transversale de la cathédrale, sur son axe est-ouest, montre des arcs boutants à droite différents de ceux de gauche.

 

 

Coupe transversale de la cathédrale d'Amiens, par M. Duvanel.

Coupe transversale de la cathédrale d'amiens.

 

A droite, se trouve un arc-boutant supplémentaire. L'arc-boutant primitif, placé trop haut, contrebute insuffisament la poussée des croisées d'ogives. Des fissures apparaissant dans les murs, la pose d'un nouvel arc-boutant, placé plus bas, est rendue nécessaire.

 

Cathédrale d'Amiens, les deux générations d'arc-boutant

Les flèches rouges indiquent l'arc-boutant supplémentaire venu renforcer celui du dessus.

 

Des fissures apparaissent également au niveau des triforiums, anonciatrices de la rupture future des piliers porteurs, à la croisée des transepts et donc de l'effondrement d'une partie de la cathédrale d'Amiens. La solution géniale arrêtée par l'architecte de l'époque est de poser un chaînage métallique ceinturant le bâtiment, de l'intérieur, au niveau des triforiums.

 

Cathédrale d'Amiens, chainage d'urgence du triforium, suite

Cathédrale d'Amiens, fixation des éléments du chaînage

Emboitement des barres de fer qui constituent le chaînage métallique. Ce corset de fer sauve la cathédrale d'un écroulement inéluctable.

 

Regardez comment les barres de fer s'emboitent les unes à la suite des autres. Chaque barre de métal, d'une longueur de deux mètres environ, se termine en boucle simple ou double, mâle ou femelle. Les barres sont mises bout à bout, respectant l'assemblage mâle-femelle. Des coins métalliques sont enfonçés dans les trois boucles des deux barres de fer, leurs yeux étant alignés, fixant ainsi définitivement les barres (1ere des 2 photos ci-dessus).

Il est dit que ces barres de fer viendraient, pour ces cathédrales du nord de la France, de la très lointaine Espagne. Il est prouvé scientifiquement que le chaînage métallique, également requis dès sa construction, au triforium du coeur de la cathédrale de Bourges, provient d'ateliers et de mines proches de celle-ci (cf Colloque "cathédrale Bourges 2012"). Il ne peut qu'en être de même pour Amiens, Beauvais et leurs soeurs.

Mais comment ces barres de fer sauvent-elles la cathédrale d'Amiens d'un effondrement ?

 

Trois agraphes métalliques du chaînage de fer sur le triforium de la cathédrale d'Amiens.

Cathédrale d'Amiens, agraphes du chaînage de fer du triforium

Agraphes métalliques placées à la croisée des transepts de la cathédrale d'Amiens.

 

Les agraphes verticales visibles au bout de chaque flêche rouge sont comme des bras qui enserrent la pierre sur une certaine hauteur. Elles sont rattachées aux barres de fer du triforium, chaînées les unes aux autres jusqu'à un ancrage stable ailleurs dans le triforium. Ainsi la poussée latérale qui pousse horizontalement les piliers de la croisée du transept à faire "ventre" jusqu'à la rupture est stoppée définitivement.

 

Pierre_aldine.jpg (6932 octets)

 

Dans une cathédrale l'architecte ne se contente pas d'être le maître du trait, par lequel les plans et le bâtiment s'élaborent. Il veille aussi sur l'ouvrage fini et doit anticiper les défauts de conception que le temps révêle, comme les deux exemples vus ci-dessus, pour ne pas reproduire le sinistre scénario de la cathédrale de Beauvais.

Un soin constant est porté par les hommes de chaque génération à la conservation de ces vaisseaux de lumière. Ces hommes forment comme une chaîne d'or. Cette condition est incontournable pour que les générations à venir puissent encore s'émerveiller et entendre ce langage venu de si loin, mais si fragile, jusqu'à nous.

 

La chaîne d'or est toujours vivante.

Archhitecte, tailleur de pierre, première pierre de fondation

Premières pierre de fondation avec truelle gravée en saillie. L'architecte Viollet le Duc et un tailleur de pierre amiénois du XXème siècle, maillons de la Chaîne d'Or.

 

 

Cathédrale d'Amiens, chemin de ronde du triforium, côté choeur, nord

Les inclusions de silex dans le calcaire, fréquentes dans ce calcaire de bord de mer, font d'étranges éléments décoratifs (en noir sur les fûts blancs de calcaire). Cette façon de les faire ressortir signe la maîtrise des tailleurs de pierre.

 

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Le silex du pilier de gauche, dégagé par le tailleur sans le casser, semble s'animer. N'est-ce pas une salamandre noire qui descend sur le pilier en ondulant ?

 

 

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